Le trésor des Iroquoiens enfoui dans un rang de campagne

Publié le par le-blogue-de-luc-r

C’est par un dépliant que m’a remis Monsieur Michel Cadieux au festival Présences autochtones que j’ai appris l’existence de la municipalité de Saint-Anicet près de la réserve mohawks d’Akwasasne dans le sud du Québec à quelques kilomètres seulement de l’État de New York aux États-Unis. D’une voix enthousiaste, debout devant la reconstitution de pointes de flèches iroquoiennes, l’archéologue autodidacte m’a incité à parler de deux projets de revalorisation du patrimoine amérindien au Québec : Droulers / Tsiionhiakwatha et Tentsitewaiena

Jérémie, l’un des guides du site, me parlera de Monsieur Cadieux avec beaucoup d’admiration, le trouvant génial : un musée vivant, dit-il; et d’une humilité exemplaire. Le texte d’aujourd’hui porte sur le premier des deux projets de dialogue entre les cultures.

saint-anicet-b-24-08-11.jpg

L’un des grands auteurs du site, Monsieur Michel Cadieux

1- Dans un site archéologique du XVe siècle

En arrivant dans ce qui ressemble à un coin éloigné du Québec, j’ai soudain éprouvé l’exaltation ressentie naguère lors de mes visites des sites archéologiques mexicains ou au visionnement de mondes perdus au cinéma. Mieux encore, je me suis senti sur le plateau du tournage d’un film historique.

À une différence près.

saint-anicet-a-24-08-11.jpg 

Luc R et Professeur Claude Chapdelaine

Faisant preuve de beaucoup d’ouverture d’esprit, et animé d’une passion de plus de trente-cinq ans, le professeur d’archéologie Claude Chapdelaine de l’Université de Montréal acceptait généreusement de me partager quelques-unes de ses expériences. Accompagné de ses élèves de premier cycle, qui grattaient soigneusement la terre à la recherche de bouts de pipes, de tessons de poterie ou d’ossements de poissons datant du quinzième siècle, Professeur Chapdelaine, se sentait fier de la récolte actuelle. Et pour cause.

iroquois-2-24-08-11.jpg

Vestiges d’une maison longue / vue d’un feu

La base d’une deuxième maison longue était mise à jour; celle-là composée d’au moins trois feux. De plus, beaucoup de pièces archéologiques de valeur avaient été prélevées par les élèves de son école de fouilles. Pour apprendre à fouiller, il faut être capable de trouver, nous dira-t-il. C’est pourquoi ces élèves de premier cycle travaillent à l’échelle d’une maison. L’une d’entre elles grattait soigneusement autour d’un feu depuis déjà trois jours; pendant que Geneviève, une nouvelle recrue, nous dévoilait le contenu d’un coffre aux trésors archéologiques : un poinçon, des éclats de poterie…, bref la preuve intangible d’un lieu antérieurement habité par des êtres humains.

Professeur Chapdelaine admettra se sentir en situation de mission, dénichant du financement servant à bien transmettre son savoir aux jeunes. En septembre, il retournera à Saint-Anicet avec un groupe constitué d’élèves de deuxième cycle, qui aura pour mandat rien de moins que la découverte des limites du village ancestral iroquoien sur un territoire d’environ 13 000 m2 et, espère-t-il, celles d’une palissade l’ayant entouré. Si de telles preuves étaient mises à jour, soit par l’identification de fossés ou des traces de piquets, l’équipe réaliserait une très grande découverte, affirme-t-il, le feu d’une passion juvénile dans le regard. On ne fouille pas pour fouiller; ajoute-t-il, insistant sur la nécessité de se questionner en vue d’orienter la chance vers l’identification d’indices.

iroquois-3-24-08-11.jpg

Geneviève et son coffre aux trésors archéologiques : un tesson de poterie particulièrement bien décoré, un poinçon et une perle des pauvres

Généralement, seuls les villages de taille moyenne ou les grands villages se dotaient de ces murs protecteurs. Nathan, notre guide partiellement d’origine mohawk, nous expliquera que ces murs constituaient des mesures de protection contre les attaques de gros animaux comme les ours, et les ennemis des Iroquois.

Bien que les liens de descendance entre les habitants du village retrouvé et ceux d’Akwasasne ne soient pas encore clairement établis; selon Nathan, de grandes précautions sont prises pour éviter toute forme d’irritant culturel. Ainsi, évite-t-on de faire allusion aux rites sacrés trop personnels. De plus, Geneviève nous dira que l’exhumation d’ossements humains serait clairement interdite si l’existence de cimetière était suspectée. Elle nous rappelle que nous-mêmes verrions d’un mauvais œil que des archéologues procèdent à l’exhumation des restes de nos propres ancêtres.

Professeur Chapdelaine m’affirme aussi avoir pris la peine de rencontrer les dirigeants mohawks avant le début des travaux afin de bien leur faire comprendre le sens de ses recherches. Des comptes-rendus leur sont faits régulièrement en anglais, l’une des deux langues parlées par les descendants des anciens alliés des Anglais contre les Français; la langue mohawk étant l’autre langue connue. Le site de Droulers (nom du découvreur initial du site archéologique) souhaite d’ailleurs la bienvenue en termes amérindiens: Ske:kon. Tekwanonwaratons tsinionklon kwenon.

2- La reconstitution d’un village d’origine

saint-anicet-c-24-08-11.jpg

Belle vue de la palissade et du labyrinthe d’entrée

Les grands talents de Michel Cadieux permettent aux visiteurs de mieux comprendre la nature des vestiges découverts. Ce tailleur de pierres et fabricant d’imitations de pointes de flèches préhistoriques est aussi spécialisé en reconstitution de villages iroquoiens entiers. Le centre d'interprétation du site archéologique Droulers/ Tsiionhiakwatha est, dans une très large mesure, le fruit de son méticuleux travail de recherche. Le site comprend des maisons longues de taille réelle, pouvant contenir au moins cinq feux et ayant pu loger 70 villageois, entourées d’une palissade infranchissable.

 

Pour y entrer, les visiteurs passeront d’abord en file indienne par un labyrinthe, au-dessus desquels des archers pouvaient se tenir pour défendre le village. Une fois à l’intérieur de l’enceinte, la visite des maisons permettra de mieux comprendre certains modes de vie des membres des clans de la tortue, de l’ours, du loup et de la bécasse. Plusieurs couchettes servant d’appartements pour des familles de cinq personnes sont situées le long des deux grands murs intérieurs. Le dessous de ces couchettes sert d’entrepôt de bois. La fumée dégagée par les feux du centre de la maison facilite la conservation des aliments placés à l’étage supérieur.

iroquois-6-24-08-11.jpg

Entrepôt de nourriture/ tortue serpentine - calendrier / les feux / casse-tête algonquien et iroquoien/ trois sœurs (courges, haricots et maïs) / poupées en pelures de maïs

Notre guide nous montrera aussi l’usage de vilebrequins ancestraux servant respectivement à l’allumage des feux ou à la perforation de troncs d’arbres pour y coudre, entre autres, les pièces de la charpente de la maison. Nous y découvrirons également divers jouets destinés aux enfants du village, de même que deux types de casse-têtes employés pour la guerre. Des crosses constituent les objets employés dans le cadre de l’entraînement militaire. Lors des joutes d’une durée de quelques jours à quelques semaines, il arrivait fréquemment aux hommes de se fracturer des membres en vue d’apprendre à endurer la douleur.

De nombreux autres objets sont également montrés aux visiteurs dans le cadre d’une visite normale à prix modique. Le guide fournira aussi plusieurs explications sur des rites initiatiques ou encore des techniques de chasse. À l’extérieur, il est possible de voir des fumoirs de poissons et le jardin où se cultive les trois sœurs : le maïs, servant de tiges aux haricots, entourés des courges et de leurs larges feuilles protectrices. Les recherches archéologiques menées à l’extérieur peuvent permettre d’établir globalement le régime alimentaire des Iroquoiens selon la densité des ossements de poissons ou de grains de maïs découverts sur le site.

iroquois-4-24-08-11.jpg

Jérémie / artisanes mohawks d’Akwasasne / Nathan

Celui-ci, qui attire annuellement près de 12 000 visiteurs, organise aussi des ateliers. Lors de notre visite, deux dames mohawks d’Akwasasne enseignaient aux enfants l’art du tissage de feuilles de maïs pour la confection de poupées destinées aux jeunes filles. Ces petits jouets ne contiennent pas de visage afin d’éviter qu’elles ne se transforment en êtres humains. Un programme spécial est aussi offert aux groupes désirant vivre une expérience plus authentique : des nuitées, des repas typiques et des légendes de raconteurs.

Conclusion

J’ai visité plusieurs fois Teotihuacan au Mexique, et j’ai marché dans les sites archéologiques du Michoacán, sans savoir qu’il existait à deux heures de Montréal un centre d’interprétation qui combine de réels vestiges amérindiens et de splendides reconstitutions historiques. C’est aussi la première fois que des membres d’une équipe d’archéologues se sont montrés fiers et surtout empressés de partager leur savoir avec le public. Vous comprendrez alors la consternation que j’ai éprouvée en écoutant les récits de Jérémie sur des commentaires désobligeants de certains membres de la presse et de personnalités politiques au sujet du joyau culturel local. Les œuvres de Messieurs Chapdelaine, Cadieux , du directeur, Monsieur Pascal Perron (absent lors de notre visite) et de tous les contributeurs du projet méritent le regard attentif que leur a porté l’industrie du tourisme en décernant un quatrième prix prestigieux au site de Droulers / Tsiionhiakwatha.

saint-anicet-d-24-08-11.jpg

Maisons longues / étendoir de poissons / outils d’agriculture

De tels projets doivent permettre le rapprochement interculturel et intergénérationnel et briser le cercle des multiples solitudes grâce à une meilleure connaissance des protagonistes. En ce sens, le Blogue de Luc R recommande à ses lecteurs de faire un tour du côté du 1800 rue Leahy à Saint-Anicet. Apportez votre lunch ou rendez-vous à un casse-croute du village…

Au milieu d’un paysage de campagne, à perte de vue, un monde disparu refera soudainement surface comme si l’histoire de l’Amérique était intemporelle.

Autres sites Internet

Articles du blogue sur les Premières Nations :

  • Brève : lancement du dossier Premières Nations. Élisapie Isaac, la chanteuse polaire
  • Présences autochtones : le rassemblement d’une grande famille
  • La vitalité des Innus de la Côte-Nord
  • (À venir) Les Hurons de la réserve de Wendake

Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation, le 24 août 2011

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article