Je te pardonne, mais je ne veux plus te voir

Publié le par Luc Renaud

Le Temps des Fêtes approche et avec lui les moments d’attendrissement, du pardon, de la réconciliation et la prise de bonnes résolutions. Ce climat d’assouplissement de l’âme se traduit parfois par une forme de sentiment malsain de culpabilité… L’un sent ou imagine la douleur éprouvée par l’autre; lequel, pourtant peut être un abuseur, un incestueux, un être violent ou juste une personne menée par la psychose du pouvoir, le sens maladif de la compétition et de la manipulation.

Une trop grande sensibilité devient alors un obstacle à la fermeté nécessaire face aux dangers de certaines situations; et le risque de revivre selon des patterns nuisibles est grand. Rappelez-vous pourtant que les gens ne changent pas vraiment et que rares sont ceux qui tirent les leçons du passé. Le temps arrange tout est un mensonge. Yvon Deschamps avait caricaturé ce principe dans un monologue donnant en exemple le bris d’un véhicule automobile que le temps n’avait pas réparé.

colere01.jpg

Qu’en est-il alors du pardon? Hé bien, il est essentiel peut-être davantage pour soi que pour l’autre puisque la colère de la rancune est un poison de l’âme qui détruit à petit feu. De bons coups de poings dans un punching ball, des fous rires évacuateurs de stress, le C’est pas parce qu’on rit que c’est drôle ou les cris de défoulement dans un aréna de hockey constituent seulement des mesures de gestion temporaires des émotions, qui ne règlent pas le fond du problème. L’ivrognerie des partys ou tout autre paradis artificiel n’arrangent rien non plus. Au contraire, le frère de Barb Wire, le personnage de Pamela Anderson, rappelle que Boire aide à se rappeler et non à oublier.

Qui plus est, l’alcool et les drogues occasionnent de sérieux dommages aux neurones et au foie, augmentent les risques d’accidents de la route et jouent un rôle central sur le plan des problèmes sociaux comme la délinquance associée à la criminalité. Bref, l’agressé devient l’agresseur, la victime, un attaquant : une culture de la violence prend ainsi naissance, pour paraphraser Luis Carlos Restrepo, comme l’illustre bien d’ailleurs l’augmentation de phénomènes de rage au volant. Le psychiatre et sociologue colombien oppose à cette tendance sa notion de droit à la tendresse.

pensee.jpg

Si le pardon est essentiel, il ne soigne rien puisque la rancune est construite d’un solide enchevêtrement de racines. Or, la colère est la marque d’une blessure dont le traitement est prioritaire pour accéder au bonheur et jouer un rôle majeur sur le plan social. Encore faut-il connaître la nature de cette blessure…. Je laisse cet aspect du problème aux professionnels de la santé, me refusant le droit de jouer aux psychologues du dimanche. Toutefois, comme philosophe, je me questionne sur les causes potentielles des blessures humaines à l’origine de la rancune. Serait-ce l’incapacité de reconnaître en soi ses grandes forces personnelles, ce qui génèrerait ainsi de l’envie et de la jalousie? L’atteinte à la dignité causée par la trahison, l’humiliation, les calomnies, les menaces, l’inceste? Le sentiment d’agression occasionné par la mort d’êtres chers, de façon naturelle ou à la guerre? La cruauté de la solitude de l’exclusion sociale ou raciste? L’injustice des classes sociales et la vue de la misère et de la famine?

richesse.jpg

Sans guérison, le pardon est un concept vide de sens. Le traitement des blessures repose sur l’adoption d’une attitude fondamentale de recherche de compréhension, de gestes de douceur et de mises en place de solutions. Par exemple, la personne devra prendre conscience de manques à combler dans sa vie ou de rêves irréalisés, établir des rapports sociaux et concrétiser des projets. Généralement, le retour du bonheur facilite l’acte du pardon puisque la rancune a perdu sa raison d’être : faire mal ou se venger. Notez que le pardon est fondamentalement un acte libérateur et non un geste de réconciliation. La personne qui pardonne se libère de l’obligation d’être en colère à l’endroit de l’autre et libère l’autre de son sentiment de culpabilité. Toutefois, la confiance détruite par les méfaits reste au cœur de ses ruines. Je te pardonne, mais je ne veux plus te voir est une réalité tout à fait acceptable et normale face à des gens indignes de confiance.  

  

La dissociation de la guérison et du pardon, de la confiance et de la réconciliation doit être comprise clairement. En effet, quand une personne fautive souhaite le pardon, que cherche-t-elle réellement? À retrouver son pouvoir sur l’autre et à rétablir ainsi un rapport de force basé sur la manipulation et la domination? Dans le meilleur des cas, ne souhaite-t-elle pas davantage retrouver la confiance perdue et même la réconciliation? En d’autres termes, le pardon devient un simple prétexte et son obtention, une source de déception, un cas de malentendu et le début d’une nouvelle relation conflictuelle.

discorde.jpg

La reconstruction d’un climat de confiance est une tâche considérable. C’est d’ailleurs pour cela que plusieurs concèdent que le rapport humain ne sera jamais plus le même; les cas d’infidélité conjugale illustrent bien ce phénomène et se passent de commentaires.

 

Ceci étant dit, je demeure convaincu de la bonne foi de la grande majorité des êtres humains. À mon avis, presque tous les conflits découlent d’un manque de communication, de compréhension et d’un échafaudage de malentendus. Par le biais de la médiation et la mise en place d’un mécanisme de résolution de conflits, les personnes exposent clairement les raisons du litige et trouvent ensemble les compromis nécessaires à l’établissement d’un beau climat relationnel. La réconciliation n’est donc pas gratuite, ni accordée ipso facto. Au contraire, cela demande de grands efforts, surtout dans les cas de conflit de personnalité ou de valeur.

harmonie.jpg

La guérison, le pardon, la confiance et la réconciliation forment donc quatre grandes étapes d’un processus d’harmonisation relationnelle, chacune ayant ses propres caractéristiques. Dans bien des cas, seules les deux premières étapes peuvent être franchies; certains se rendront même jusqu’à la troisième. Pourtant, la réussite de la réconciliation constitue en fin de compte une source de maturation et un espoir d’amélioration du monde.

Une seule loi permettrait de voir au-delà de ces quatre étapes; et vous aurez compris qu’il s’agit du miracle de l’amour véritable. Il n’est pas du tout rare que les ennemis d’hier soient les amis de demain. C’est peut-être pour cela que plusieurs éprouvent de grandes attentes à l’endroit de la magie de Noël. Gardez confiance, mais soyez prudents!

Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation 3 décembre 2010

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article