Le Secret de la Licorne au Québec
Tintin a non seulement marqué l’histoire de la bande dessinée, mais a aussi attiré le regard des psychanalystes, des philosophes, et des ethnologues. Georges Rémi, alias Hergé, se faisait un devoir d’illustrer ses différentes scènes avec un souci méticuleux de la précision et de la véracité. Si certains ouvrages ont mal traversé le temps, l’ensemble de l’œuvre demeure riche tant sur le plan de la géopolitique que celui des légendes. Rappelons-nous les conflits militaires d’Amérique latine avec Tintin et les Picaros, ou encore la légende du Yéti dans Tintin au Tibet. Objectif-Lune demeure l’œuvre d’un visionnaire d’une conquête lunaire survenue quelques dizaines d’années plus tard. Pas étonnant que les albums aient séduit des générations entières de jeunes et qu’ils aient été traduits dans plus d’une cinquantaine de langues.
Pour souligner la sortie québécoise de Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg, la cinémathèque québécoise a servi aux tintinophiles un buffet de films de Tintin, le tout précédé d’une présentation sur Hergé, donnée par le bédéiste Tristan Demers. Mais quelle a été notre perception lors du visionnement du film et pourquoi Tristan Demers, tintinologue et lui-même dessinateur de bédés, a-t-il consacré récemment un ouvrage associant Hergé à la Révolution tranquille du Québec?
1. Une interprétation convaincante : vers une étude du film
Lors de ma sortie au cinéma pour voir le film de Spielberg en 3D, la salle était presque comble, et le public comprenait des personnes de 7 à 77 ans.
Spielberg a su faire un clin d’œil à plusieurs albums de Tintin, comme Le Crabe aux pinces d’or, Coke en Stock et même Objectif Lune pour générer une histoire originale, tout en restant fidèle à l’œuvre originale. La technique de tournage conserve efficacement des traces du réel dans la confection des avatars, et se révèle particulièrement convaincante chez les filous. Allan et sa bande de vauriens paraissent réellement dangereux, contrairement aux ouvrages ou aux séries télé antérieures. Le spectateur est ainsi plongé dans une aventure crédible.
Le tintinophile se sent à l’aise avec les personnalités respectives attribuées aux principaux personnages, Tintin, les Dupont(d) et, bien entendu le capitaine Haddock. Le jeune reporter y est montré comme un jeune garçon curieux et intrépide, et le capitaine comme plutôt susceptible. On saura tirer profit de ses légendaires jurons, ses maladresses et son amour du whisky qui le plonge en pleine dualité identitaire : son état d’ébriété constitue son état normal. D’autres touches d’humour teintent le scénario. Ainsi rien ne résiste à la voix perçante de la Castafiore, pas même les vitres antiballes.
Dans Le Secret de la Licorne 3D, le scénariste a réussi à redonner à Milou l’intelligence du fidèle compagnon canin de Tintin, ce qui avait échappé aux réalisateurs des autres films. Cette fois-ci, Milou saura faire preuve d’imagination à plus d’une reprise et sauver la vie son maître de façon astucieuse. Il contribuera même au succès des humains en quête du trésor de Rakham Lerouge.
2- Les Québécois des années ’60 et Tintin
Il n’y avait que huit tintinophiles à la cinémathèque québécoise, presque tous des adultes aux cheveux grisonnants, pour assister à la brève présentation de Tristan Demers en pleine campagne de promotion de son livre Tintin et le Québec. Hergé au cœur de la Révolution tranquille. La naissance du livre a exigé trois ans et demi de recherches documentaires méticuleuses dans les archives, des rencontres de personnes ayant fréquenté Georges Rémi, et d’intenses négociations de droits de reproduction des images de Tintin. On y découvrait, entre autres, que le tournage d’une entrevue avec Hergé par Judith Jasmin allait servir de base à quelques scènes de Les bijoux de la Castafiore.
Tristan Demers illustre dans son livre l’importance accordée à Hergé et à Tintin par les Québécois des années » 60, à une époque où les journaux québécois ne présentaient que des bandes dessinées originaires des États-Unis et souvent traduites mot à mot. De plus, l’éventail du roman jeunesse était assez mince, les enfants ne trouvant sous le sapin de Noël que des livres de Martine, Bob Morane et, bien entendu, de Tintin.
C’est d’ailleurs la popularité de celui-ci qui a conduit des promoteurs de littérature jeunesse à formuler une visite officielle d’Hergé au Québec en avril 1965. Ainsi Georges Rémi sera-t-il invité dans des décors typiques comme une cabane à sucre, les polyvalentes de la région de Québec, et à la visite industrielle du joyau économique du Québec d’alors, soit les complexes hydroélectriques de la Manicouagan dans le Nord. Le créateur de Gargouilles, le bédéiste Tristan Demers, signale qu’Hergé était moins populaire que son personnage auprès du grand public. Les enfants d’une école primaire lui préféraient un spectacle de Joël Denis, et des adolescentes raffolaient davantage de l’opportunité de se faire prendre en photo avec des statues des Beatles dans un centre commercial.
Le jeune reporter d’Hergé habitait tant l’imaginaire populaire qu’un radio-roman lui était consacré avec les voix de Paul Buissonneau et du comédien Jean Besré. Une pièce de théâtre de marionnettes reprenait aussi une adaptation de Tintin et le temple du soleil. Le Jardin des merveilles de Montréal (aujourd’hui le Parc Lafontaine) avait érigé une statue en l’honneur de ce héros de la jeunesse, qui était même accueilli au Salon du Livre de 1967. À l’émission Tous pour un, un jeune garçon gagnait des prix grâce à sa passion pour le sujet. N’eut été, selon M. Demers, certaines maladresses de promoteurs québécois de l’époque, un film de Tintin au Québec aurait pu voir le jour.
Conclusion
Tintin a émerveillé la jeunesse de plusieurs générations de plusieurs pays, étant traduit dans plus d’une cinquantaine de langues et de dialectes. Dans ce contexte, il nous semble normal qu’il ait croisé celle des années '60 au Québec. Toutefois, lui attribuer un rôle sur la Révolution tranquille semble davantage relever du marketing que de la réalité. Cela n’enlève rien à la qualité du spectacle offert par Steven Spielberg, qui a réussi le tour de force de produire un film original tout en ancrant l’intrigue dans les univers connus des tintinophiles.
Mille millions de mille sabords, passez un bon temps de fêtes!
Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation, les 25 et 26 décembre 2011