Les assoiffés de Wadji Mouawad, adaptation de l’école secondaire Saint-Louis

Publié le par Luc Renaud

Les élèves de la deuxième année du secondaire auront l’opportunité de jouer une œuvre théâtrale devant des élèves de cinquième et de sixième année du primaire dans l’enceinte du fameux Conservatoire d’art dramatique, raconte Madame Julie Deschêne tout juste avant la présentation d’une adaptation de la pièce juvénile Les assoiffés du grand homme de théâtre Wadji Mouawad. L’annonce de la directrice de l’école secondaire Saint-Louis s’est faite dans le studio théâtre de l’école, un simulacre d’auditorium, accueillant le public sur un ensemble de chaises ordinaires. C’est d’ailleurs pourquoi l’école, la seule à orientation complète en art dramatique au Québec, sollicite l’appui financier des parents et de la population pour s’équiper de vrais fauteuils au cours de l’année scolaire actuelle.
De son côté, Monsieur Michel-Adrien Pouliot, l’enseignant responsable du groupe de ce soir de théâtre, fournira au public quelques données contextuelles sur la pièce choisie expressément pour un public jeune : une oeuvre de leur territoire, riche de réflexions sur les relations parents-enfants, sur la fratrie et sur les difficultés de vivre dans un monde constitué de règles d’adultes. En vertu d’une entente entre les auteurs, le Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) et la Société des auteurs dramatiques du Québec (SoQAD), il se sera prévalu du droit d’adapter la pièce pour répondre à des besoins pédagogiques.  
1-      La technique du chœur et l’expression collective
D’entrée de jeu, une vingtaine de jeunes sont étendus par terre sur la scène aux côtés d’un autre, aussi recouvert d’un drap, mais couché sur une civière. Très tôt, nous apprendrons qu’il s’agit du cadavre de Murdoch, un jeune garçon plutôt révolté, repêché par son vieil ami d’enfance Boon, devenu anthropologue judiciaire. Murdoch s’était enfoncé dans l’eau glacée une quinzaine d’années plus tôt, alors qu’il faisait du patin à glace. Boon, complètement désemparé, ne vivait plus que pour faire la lumière sur sa disparition.
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Nous comprendrons que la vingtaine de jeunes jouaient le même personnage, se partageant l’abondance des répliques du texte de Murdoch, de manière cohérente et en symbiose. Le professeur nous expliquera qu’il s’agissait pour lui d’une façon d’enseigner la technique du chœur, qui force les jeunes à prendre conscience du jeu de l’autre et à faire preuve d’écoute. Au-delà de la technique théâtrale, le chœur donnait l’opportunité à chacun des vingt-deux élèves de s’exprimer équitablement sur scène, contrairement aux pièces conventionnelles ne mettant en vedette qu’un nombre limité d’acteurs, parfois entourés de plusieurs petits rôles.
La pièce nous montre donc une foule de Murdoch, chargée de frustration et de hargne, et peu enclins au plaisir des études. Ils rejetteront par exemple l’attitude d’une femme lisant tranquillement un livre dans un autobus, critiqueront vivement la pertinence des enseignements de leur professeure et exprimeront en chœur une somme plutôt astronomique de Je ne sais pas, démontrant fermement leurs doutes et leur rage face à l’autorité.
2-      Le message, plus important que l’égo
Pour Monsieur Pouliot, le théâtre est un outil intéressant lorsqu’il amène les gens à des remises en question, et quand le spectateur attache plus d’importance au message qu’à l’égo de l’acteur. Il admettra, toutefois que les élèves ont éprouvé de la difficulté à bien comprendre le sens de la pièce au début. Les répétitions auront permis de corriger le tir, comme cela se passe souvent dans le milieu professionnel, ajoutera-t-il.
Pour compliquer un peu les choses, l’œuvre combine des éléments de la réalité et de la fiction, qui perdent par moments le néophyte. Si Norvège n’est qu’un personnage de littérature, qui était la jeune femme retrouvée au cou du cadavre de Murdoch? Au fond de la salle, derrière un rideau, un rabbin accompagne un couple cherchant à découvrir les secrets de Norvège, une jeune femme ayant vécu un enfer qui restera un mystère enfoui dans l’imaginaire de Boon, son auteur.   
Le professeur souhaite que les élèves acquièrent une plus grande maîtrise des techniques théâtrales, mais aussi  davantage de connaissances théoriques au cours de l’année scolaire. Il se dit, néanmoins, très satisfait de la performance générale de sa jeune troupe. Il se dit particulièrement heureux du fait que ses acteurs se soient, au final, sentis touchés par la pièce.
3-      Mes observations et mes critiques
L’esprit de révolte du jeune Murdoch est bien illustré par les nombreuses marques d’impatience exprimées pendant la longue scène de l’attente de l’autobus. Pourquoi une chose n’est-elle jamais finie une fois pour toute?, mentionnera-t-on à une autre occasion. On a faim, on mange; on a refaim, on remange […] Il y a toujours un re- de trop. Nous avons beaucoup apprécié également la performance de l’actrice J. jouant le rôle de la directrice d’école et de l’un des Murdoch de l’autobus; celle-ci avait le regard austère nécessaire, et des répliques cinglantes jouées de façon convaincante et avec beaucoup de naturel.
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Source: Le monde en images, CCDMD
Au-delà du sens de la révolte, le sens de l’amitié constitue une valeur importante dans cette pièce. Boon n’a-t-il pas consacré une quinzaine d’années de sa vie à la recherche du cadavre de son ami d’enfance, faisant même carrière en anthropologie judiciaire expressément pour cela?
Les jeunes acteurs possédaient une assez bonne maîtrise de leurs textes; et la technique du chœur s’est révélée fluide et efficace. De fait, nous nous sommes même demandé s’il ne s’agissait pas de la seule technique qui permette à un groupe d’enfants rêveurs de développer son talent avec équité.
Nous n’évaluerons pas cette représentation puisqu’il s’agit de la première de l’année scolaire de ce groupe d’élèves de la deuxième année du secondaire. De plus, nous admettons avoir assisté à un beau spectacle, joué avec conviction. Monsieur Pouliot ajoutera que l'artiste qui se tient au chaud sous le manteau parfois un peu lourd de l'enseignant travaille à faire surgir les idées créatrices des élèves, et les siennes aussi. Et ce travail a été agréable avec eux. À voir le plaisir des acteurs ce soir-là, il est facile de comprendre pourquoi.
Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation, le 3 décembre 2011
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