Les grands enjeux (quatrième partie): l’occultation de l'essentiel

Publié le par Luc Renaud

Mon expertise est dans le domaine des sciences de l’éducation, particulièrement en technologie éducationnelle. Toutefois, en toute naïveté, je m’interroge sur le sens des événements géopolitiques et des mécanismes de communication. Dans ma recherche de documentation sur le Web, il m’est parfois difficile de distinguer la différence entre la légende et la réalité. S’il est vrai que, dans le monde scientifique, la divergence de points de vue permet de nous rapprocher de la vérité, force est de constater que plusieurs contenus médiatiques reflètent les idéologies de gauche ou de droite, aux détriments de la recherche du savoir.

Face à l’abondance des informations diffusées, on ne doit plus seulement se demander quelle est la part de vrai et de faux, mais aussi ce qui est de l’ordre de la pure propagande, de la désinformation, de la simple opinion personnelle et de l’occultation des enjeux essentiels.

 

1- De la propagande à la désinformation

Selon le président vénézuélien, le tremblement de terre en Haïti de janvier 2010 proviendrait de tests militaires menés par les États-Unis en préparation à une éventuelle attaque contre l’Iran. De tels propos de nature conspirationniste peuvent sans doute inspirer des scénarios de films-catastrophe. Aujourd’hui même, cet homme prenait la défense du colonel libyen, celui-là même qui accusait Al Quaida de fournir des hallucinogènes au peuple libyen en vue de le mener à la révolte. En pleine contradiction, le colonel Kadhafi niait quelques jours plus tard  l’existence même de manifestations, alors que de nombreux témoignages rapportent des centaines de victimes. La position d’Hugo Chavez s’inscrit à contre-courant de l’immense consensus de la communauté internationale autour de la situation libyenne, incluant les positions de la Chine et de la Russie. D’autres exemples de propos officiels portent aussi les couleurs de la propagande. Selon un président pakistanais, le chef du réseau Al Quaida serait en fait un agent de la CIA. Sans  spécifiquement y attribuer la responsabilité, des penseurs conspirationnistes affirment, par ailleurs, que le virus de la grippe H1N1 constituerait un premier cas connu de terrorisme biologique.

 

Pourquoi de tels propos suscitent-ils tant d’intérêt? Daniel Gilbert, professeur de psychologie, cité par Dominique Forget, ingénieure et journaliste scientifique, est d’avis que le discours catastrophe, particulièrement à saveur terroriste, émoustille l’imaginaire populaire de façon remarquable. À titre d’exemple, le psychologue affirme que la guerre au réchauffement planétaire serait bien engagée si celui-ci était l’œuvre d’un complot terroriste. Vu l’attrait presque biochimique et viscéral exercé par les situations d’urgence, il n’est pas étonnant de voir des leaders en faire un usage abondant, en dépit du sens commun.

 

Pourtant, les informations sur ces complots, trouvées sur Internet me semblent riches en suppositions et en déclarations incendiaires, mais pauvres en preuves et de sources plutôt obscures. Certaines frôlent même un cynisme inhumain. Par exemple, je doute fort que la chute des tours jumelles du 11 septembre 2001 soit l’œuvre du patriotisme américain : perte de 3 000 vies humaines, dépense de quelques milliers de milliards de dollars en frais militaires, accroissement majeur des coûts en mesures de sécurité, etc.  

 

De fait, l’ensemble de ces propos constitue une vaste forme de désinformation à l’origine de visions du monde plutôt hallucinantes ou d’une forme d’occultation des enjeux essentiels. Par exemple, l’attention du public peut être distraite de l’importance d’actions humanitaires imminentes dans le cas de catastrophes naturelles. À supposer que le  séisme qui aurait fait 400 victimes en Nouvelle-zélande en 2011 soit l’œuvre d’une technologie militaire moderne, cela n’enlève rien  aux besoins de la population éprouvée dans ce pays. Tout comme à ceux des habitants d’Haïti ou de toutes les personnes déplacées par les révoltes au Moyen-Orient.

 

La focalisation de l’attention du public sur des discours propagandistes dénature même notre compréhension des principales causes des catastrophes dénoncées. Il est fort douteux, par exemple, que les 100 000 décès occasionnés par le séisme de Messine en Italie en 1908, ou les 140 000 à Tokyo en 1923, etc., proviennent de causes, autres que naturelles. Il en va de même des 220 000 morts causées par les tsunamis en Asie en 2004. En supposant qu’ils soient l’œuvre d’une activité humaine volontaire, qu’en est-il des 2 000 victimes du Chili en 1570, des 5 000 du Japon en 1605 ou des 40 000 de l’océan indien le 27 août 1883?

 

Que l’on soit croyant ou non, même la légende du Déluge et de Noé correspondrait à un phénomène naturel… Un réchauffement climatique survenu il y a quatorze mille ans aurait provoqué la fonte des glaciers et occasionné une impressionnante montée du niveau de la mer. Ça ne vous rappelle rien? L’attention que l’on porte aux discours sensationnalistes nous éloigne des vrais enjeux, comme la préservation de l’environnement, le dialogue Nord-Sud et la justice sociale, les massacres de civils en Libye, et les questions de sécurité, etc.

 

2- La part de vérité

 

D’une certaine manière, le discours sensationnaliste se compare à une légende : des faits, réels, sous-jacents peuvent susciter de l’inquiétude. En 2003, à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et des attaques à l’Anthrax, le New York Times menait une série d’enquêtes sur les armes biologiques. Présentée à cette époque dans le cadre des Grands reportages de Radio-Canada, on y découvrait que l’ex-Union soviétique avait conçu dans des usines de l’Ouzbékistan suffisamment de virus pour éliminer neuf à dix fois le nombre d’habitants de la terre. Peut-être encore sous le choc des attentats, le New York Times ajoutait que de nombreuses fioles faisaient actuellement partie de l’arsenal de guerre du terrorisme international.

Bien que ces données semblent convaincantes, dans quelle mesure les autorités cherchaient-elles à justifier l’invasion de l’Iraq de l’époque, compte tenu de l’échec des recherches d’armes de destruction massive, de nature nucléaire, chimique ou biologique?  Particulièrement quand on considère les enjeux géopolitiques et économiques du pétrole, reliés à cette guerre…

 

Pourtant, selon le Bureau des affaires du désarmement des Nations Unies, les armes biologiques constituent bel et bien des munitions du terrorisme; des souches particulièrement dévastatrices de bactéries, virus, champignons, toxines, etc. peuvent être conçues selon des procédés plutôt simples et être dispersées par des munitions explosives, des munitions de pulvérisation ou des munitions de dispersion.

 

 Conclusion

 

De gauche ou de droite, de nombreux intervenants maîtrisent l’art de la propagande, de la désinformation et de l’occultation des enjeux essentiels. De fait, la manipulation des faits se caractérise surtout par l’usage de propos touchant les cordes sensibles de l’imaginaire humain, particulièrement reliées au sens du fatalisme et de la catastrophe. Une lecture critique des informations disponibles devrait permettre au lecteur de distinguer la règle des exceptions, les détails importants des éléments plus superficiels et de mieux se concentrer sur les enjeux fondamentaux. À mon avis, le lecteur plus curieux devrait se demander quels sont les intérêts et les valeurs idéologiques menant à chacun des discours lu ou entendu, poser des questions et émettre des hypothèses au lieu de tirer des conclusions hâtives.

 

Tel que mentionné au début de cet article, ma spécialité est en éducation et non en géopolitique. Aussi, faut-il considérer mon texte comme un modeste exemple de lecture critique des documents trouvés dans le Web et un effort naïf de mieux comprendre les mécanismes de persuasion employés par leurs auteurs.

Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation 1 mars 2011

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