Kristina Sandev et Tom Hein font réfléchir dans Proud de Michael Healy

Publié le par Luc Renaud

Proud est un projet de pièce de théâtre du dramaturge Michael Healy, qui présente au public une vision personnelle et satirique de la scène politique fédérale canadienne. Dans cette œuvre, sujet à la controverse, il est directement question des jeux de manipulation de l’opinion publique et des stratégies du pouvoir. Pour la comédienne Kristina Sandev, qui y a tenu l’un des rôles principaux, le texte laisse étonnamment  entrevoir le visage humain d’un homme souvent démonisé, mais qui veut améliorer les choses à sa manière, un chef d’État aux idées plutôt tordues, qui n’écoute pas la masse... Un homme pas cool.

Des lectures de Proud ont eu lieu à Toronto, à Winnipeg, à Whitehorse, à Thunder Bay, à North Bay et à Montréal. Lors de cette dernière représentation, près d’une centaine de spectateurs réunis au MainLine Theatre sur Saint-Laurent participaient au même moment au tournage d’un documentaire sur l’œuvre. Chacune de ces prestations a pour but d’améliorer le texte, suivant en cela un processus work In progress devant mener à une pièce jouée à Toronto à l’automne 2012.

Théâtralement, Proud est une véritable bombe à retardement. Voici en quoi.

-          Quelques aspects de la pièce

Le PM de Proud affirme avoir été élu pour imposer au peuple une attitude de discipline découlant notamment de la réduction des services à offrir à la population. Il s’estime également heureux d’avoir obtenu une bonne majorité, sans que celle-ci soit trop forte, ce qui permettrait de mieux confondre les médias. Il exigera, par exemple, à l’une de ses ministres de vendre corps et âme une loi pro-vie dans le seul but de soulever la controverse et de distraire l’opinion publique. Ainsi, aura-t-il les coudées franches pour mettre en place un ensemble de mesures encore plus discutables.

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Tom Hein et Kristina Sandev, fiers de leur performance dans Proud

Cette ministre est jouée avec brio par Kristina Sandev, que le lecteur régulier du blogue de Luc R connaît déjà puisqu’elle a tenu un rôle important dans Scènes choisies de Feydeau du collectif Jouer pour le plaisir, dirigé par Mylène Thériault en juin 2011. Kristina nous avait aussi accordé une entrevue quelques mois plus tard, Kristina Sandev et Shawn Baichoo : l’ouverture culturelle et la polyvalence .

Cette fois-ci, elle incarne une mère célibataire ayant elle-même subi plusieurs avortements; et, comme ministre, appelée à se sacrifier pour les autorités politiques. Elle considère ce rôle très intéressant, surprenant, et parlera d’une femme astucieuse qui manœuvre bien à sa manière l’art de la manipulation. Notamment, la ministre usera beaucoup de son charme en adoptant une attitude plutôt légère à l’endroit de ses confrères politiciens. Du personnage du PM, elle nous avouera que des membres du public avaient à plusieurs moments éprouvé le goût de lui foutre le poing au visage… La personnalité détestable de celui-ci étant rendue à merveille par le comédien Tom Hein, par le biais notamment de déclarations incendiaires.

-          Des déclarations incendiaires

Le personnage central de l’œuvre de Healy affirmera, par exemple, préférer laisser son intégrité personnelle dans sa vie privée plutôt que de la transporter au Parlement. Voici d’autres énoncés tout aussi provocateurs de Proud : Les hommes détestent les femmes; ce qui tombe bien puisque les femmes se haïssent entre elles. Ou encore : La majorité des gens n’ont pas de croyances, mais des émotions et des observations. Les gens n’ont pas besoin de penser en ce qu’ils croient [Traduction libre]. Le PM de Michael Healy se sentira alors justifié de mettre l’accent sur l’importance de croire en soi et en la poursuite de l’excellence au-delà de la vie politique. Ce qui lui donnera l’occasion de considérer les relations politiques internationales et nationales comme de simples moyens en vue d’exercer son propre pouvoir.

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Kristina me dira que la distribution montréalaise a procédé, avec l’autorisation de l’auteur, à des retranchements de dialogues, de manière à  ce que le texte soit de longueur raisonnable. De toute évidence l’auteur, qui a choisi de se lancer seul dans cette aventure théâtrale, en avait long sur le cœur. La comédienne insistera également sur le fait qu’il s’agit d’une fiction, et non de la réalité. Même l’épilogue qui nous montre le fils de la ministre justifier les conditions de la démission de sa mère est purement imaginaire. Le jeune homme insistera sur le fait que la moralité est un outil employé contre les gens. Il ajoutera que notre vie facile nous place devant l’obligation d’offrir le meilleur de soi pour assurer une distribution équitable des ressources. Il se montre aussi d’avis qu’en matière de luttes sociales, on échoue souvent, mais pas complètement; et ajoute que c’est ce pas complètement qui serait à l’origine du réel progrès.

-          une critique qui porte à réflexion

N’étant guidé que par un souci journalistique, je me dégage clairement des propos tenus par le dramaturge. Toutefois, Proud fait réfléchir et nous rappelle des réflexions du linguiste et philosophe américain Noam Chomsky concernant 10 stratégies de manipulation des masses. En voici la liste : 1) la diversion, 2) la création d’un problème pour offrir SA solution, 3) la dégradation, 4) le différé, 5) l’emploi d’un ton infantilisant, 6) faire appel à l’émotionnel plutôt qu’à la réflexion, 7) maintenir dans l’ignorance, 8) laisser se complaire dans la médiocrité, 9) culpabiliser et 10) donner l’impression de mieux connaître l’individu qu’il ne se connaît lui-même…

Sur le plan théâtral, je considère que nous avons là une œuvre puissante et lue avec brio par des comédiens intelligents. Elle soulève également le voile sur une vision cynique du milieu politique, mais partagée par de nombreux citoyens - pas tous de la gauche -, à en juger par les propos entendus au hasard des rencontres personnelles ou des fêtes informelles. Et comme le révèle aussi le faible taux de participation aux élections municipales, provinciales et fédérales au Canada. La pièce n’y décrit pas seulement les travers des autorités, mais aussi la fragilité d’une opinion publique qu’il serait possible de manipuler à loisir grâce aux manœuvres des stratèges de partis politiques.

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Rêve, utopie ou promesses de changements? À la Soirée des grands communicateurs de la Téléuniversité (Téluq) en mars 2012, Yanick Deschênes se disait d’avis que l’avenir des communications exigeait de l’honnêteté et de la transparence, des conditions imposées par les médias sociaux et auxquelles devront aussi se plier les organisations politiques.

Le mot de la fin

Je voudrais terminer cet article sur une note enthousiaste en faisant brièvement le point sur la carrière de Kristina Sandev. En plus du rôle important qu’elle a tenu dans l’œuvre de Michael Healy, la comédienne a participé à un court métrage, The Race of Life du scénariste Michael Sullivan, qui a été montré récemment au Short Film Corner du célèbre Festival de Cannes. Toutes mes félicitations à l’équipe de M. Sullivan et à Kristina. Cette expérience fera partie d’un nouvel article à ne pas manquer dans le blogue de Luc R.

Kristina Sandev ... Retenez bien ce nom!

Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, le 28 mai 2012

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