La nature, reine absolue

Publié le par Luc Renaud

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Si les ruisseaux savent trouver la mer

Peut-être trouverons-nous la lumière (Jacques Michel)

Nous nagerions tel un saumon près des côtes du Rocher Percé au Québec, pour ensuite peler comme une orange sous le soleil à Cavendish sur une plage de l’Île-du-Prince-Édouard. Les eaux revêtiraient alors le sens d’un retour aux sources pour l’animal dénaturé de Vercors. Ne trouvez-vous pas que notre cœur bat au rythme de la mer et au claquement des vagues sur la plage; alors que nos sens, en alerte, nous indiquent la supériorité de la nature sur nous. Grâce à elle, nous respirons, nous jouons, nous nageons, bref nous nous sentons bien vivants. Faut-il se surprendre que ces lieux de grandiloquence se transforment, par moments, en véritable fourmilières humaines? L’Homme y retrouve instinctivement le contact avec l’essence des choses. La vue des mythiques fous de Bassan, popularisés par le roman éponyme d'Anne Hébert, m'ont laissé bouche bée, davantage que le symbolique Rocher Percé. Je ne m'attendais pas à les voir d'aussi près. Chaque photo devenait une vraie carte postale. Ces oiseaux majestueux, apparemment identiques, se voyaient trahis par leur comportement individuel: l'un somnolait au soleil pendant que l'autre construisait son nid.

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Traversons la frontière du Québec pour nous rendre au Nouveau-Brunswick. Face aux puissantes marées de la Baie de Fundy, les plus hautes du monde, nous recevons de plein fouet la force du vent du large. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises... Oui, la mer est brune… Je n'en revenais pas; certains croyaient qu'il s'agissait seulement d'eau sale. Je me penche un peu pour remplir une bouteille au grand plaisir des enfants, mais sous le regard effondré de ma femme qui se demande bien ce que nous allons faire de cette gorgée salée. Mes filles ont l'idée d'ajouter de l'algue dans le contenant en plastique... Le lendemain, une étrange odeur empeste partout autour... Je n'ose dire à ma femme qu'il s'agit de l'algue en putréfaction. De la Baie de Fundy, nous nous glissons ensuite en toute tranquillité le long de la Rivière Chocolat, dont le nom semble plus savoureux que la vue de son eau brunâtre.

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L'Homme n'attache que peu d'importance à tous ces détails, à sa méconnaissance de la géographie, et rêve de conquête pour combattre ses frayeurs. Il lui est essentiel de se sentir supérieur à défaut de posséder le don de vraiment dominer la nature: il aime les illusions. Le pont de la Confédération conduisant à l'Île-du-Prince-Édouard, long de plus de 10 kilomètres, est le reflet de sa mégalomanie.

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Dans notre course folle, nous entamons ensuite un dialogue historique près des navires militaires anciens et modernes de Halifax en Nouvelle-Écosse. Dans le musée maritime du port, des reliques du Titanic nous ramènent à la raison en nous rappelant la fragilité des rêveries humaines. Mais, pour Halifax, il y a pire encore. La ville se remémore l'explosion du 6 décembre 1917 qui tua plus de 2 000 habitants quand Le Mont-blanc, rempli de munitions, entra en collision avec un navire norvégien dans le port. Par ailleurs, la boutique de souvenirs vend de nombreux accessoires sur la piraterie, autre témoin du passé difficile de la ville.

De retour au Nouveau-Brunswick, à Saint John, les voiliers de la garde côtière font figure d'anachronisme dans une ville où, sous le pas cadencé des joggeurs, chacun pose les jalons de la postérité.

Partout dans les maritimes les phares rouges guident la marche de l'Homme.

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Il arrive à ce dernier d’être calme et aussi frêle qu'une rose, mais aussi de se comporter comme un monstre agité, en cela digne précurseur de nos guerres. De toute part, l’Homme festoie et exprime sa joie d'avoir vaincu les lois naturelles.

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Mais y est-il réellement parvenu? La nature, si belle et enchanteresse, n'est-elle pas aussi le lieu du monde sauvage, là où se côtoient les bons et les mauvais instincts...

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Suivons les méandres des rivières et rejoignons l’Estuaire du Saint-Laurent, au Québec, escortés de quelques troupeaux de phoques, eux-mêmes fuyant ceux des familles de rorquals communs et de bélugas. C'est seuls et à bout de souffle que nous arriverons dans la marina du Vieux-Port de Montréal pour y prendre un repos bien mérité en compagnie de personnages parfois bigarrés.

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À défaut de trouver d’autres espèces animales comme la nôtre sur notre planète, avons-nous besoin de créer des distinctions entre nous afin de réduire notre sentiment de solitude? Sorte de mélancolie de l'époque de Cro- Magnon et de son frère Néanderthal se partageant la Terre.  

 

Reportage Cro-Magon et Néanderthal

 

Cette expédition nous procure à peine le début d'un sentiment d’émerveillement envers la grandeur, la puissance et la vitalité des cours d’eau maritimes de l’Est canadien, qu’il nous faut déjà affronter les Rapides de Lachine pour enfin rejoindre Thousand Islands, là où les Américains et les Canadiens conviennent de partager leur territoire et d’habiter la presque totalité des îles: l'endroit où la raison, peut-être plus grande que le coeur, crée l'unité. À moins que pour une fois, l'Homme se sente tout simplement dépassé par la beauté des lieux. Des maisons poussent au milieu des touffes d’arbres; un château traduit paradoxalement les espoirs et le malheur de son constructeur, Georges C. Bolt, qui pleure la mort de la femme de sa vie. Chaque tour y renferme autant de larmes qui se perdent au contact de l’eau.

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Au bout du fleuve, au centre du Lac Ontario, l’arc-en-ciel nous montre que les forces de la nature sont aussi puissantes au-dessus de nous qu’en-dessous. Telle une flèche lancée du ciel, un amas de couleurs s’abat par-dessus les navires et les gratte-ciels de Toronto qui affichent alors un air d’humbles pèlerins. Toutes les oeuvres de l'Homme ont la taille d'une puce sur le dos d'un chien. Devons-nous craindre ces signes ou, au contraire, les prendre comme le présage d'une nouvelle alliance? Nous sentons-nous en relation constante avec les lois de la nature? L’Homme n’en est-il pas l’un des fruits?

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Les rêves se trouvent aussi dans la démesure, et la construction de châteaux, comme celui de la Casa Loma de Toronto; de nouveau synonyme paradoxal des grandeurs et des échecs des hommes. Une étincelle de génie nous relie à la nature. Cette fois-ci le malheur s'acharne sur Henry Mill Pellat qui en perd le contrôle peu après sa construction, comme si nous étions indignes d'une telle magnificience... Ah! La misère des riches...

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C'est ainsi que partout sous nos pas, la nature a eu raison des prétentions des hommes; pendant que les chutes du Niagara, notre dernière destination, continuent de tonitruer aujourd’hui comme hier et demain.

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La belleza (Luis Eduardo Aute)

Il n'y a pas d'autres batailles à livrer que celle du coeur... La beauté

Texte: Luc Renaud, M.A. Sciences de l'éducation, 7 novembre 2010

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