L’homme qui combattait les écureuils

Publié le par Luc Renaud

Dès le mois d’avril, il labourait son jardin derrière l’édifice en plein cœur de Montréal, croyant ainsi relaxer et tirer profit de belles journées ensoleillées. Les quelques vignes longeant le bord de la clôture mitoyenne devaient aussi lui procurer la matière première à la fabrication d’un vin maison. Bref, tout devait bien aller, sauf que de petits rongeurs fraichement sortis de la froideur de l’hiver venaient y déterrer les oignons et autres semences pour nourrir leur progéniture. Ah, le printemps!

Ainsi mon voisin grommelait son désarroi à sa femme qui lui souriait tendrement, endurant de son côté ses cruels rhumatismes.

Des lois de la nature

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Le pauvre homme devait aussi éviter toute forme d’agression contre ses voleurs à grande queue grise pour ne pas enfreindre de loi contre la cruauté animale. À cause de son jardin, peut-être méritait-il même une amende pouvant varier de 20 $ à 2 000 $ puisque les règlements municipaux interdisent de nourrir les écureuils, les ratons laveurs, les marmottes, les pigeons, les goélands, les mouffettes, etc. et toute autre bestiole considérée comme une nuisance à la santé publique.

Entre vous et moi, qui courrait le risque de nourrir une mouffette sauvage? La classique scène du vieillard esseulé donnant des miettes de pain aux pigeons du centre-ville disparaîtra-t-elle du petit écran?

Après avoir conçu des règlements pour circonscrire les déplacements des cyclistes et des piétons, le législateur formera-t-il le Team Seal du nourrisseur de goélands? En 2006, un musicien professionnel de Westmount était même trainé devant les tribunaux pour avoir lancé des cacahuètes à un gros écureuil.

La peur de son ombre

Pour mon septuagénaire totalement désemparé, le Jardin botanique offre de précieux conseils au jardinier amateur qui souhaite éloigner en douceur les animaux indésirables, comme les chats, les écureuils et même les chevreuils. Il suffirait de cultiver son jardin à partir de bulbes peu appétissants, d’y saupoudrer des poils de chien ou de chat ou un engrais à base de fumier de poulet.

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Ma femme vient d’en faire la merveilleuse annonce à mon voisin, qui s’est bien demandé où, en pleine ville de Montréal, il pouvait se procurer du fumier de poulet. La question se pose d’autant plus que l’idée de réintroduire des poules pondeuses à Montréal est loin de faire l’unanimité. Il y a bien une petite ferme biologique au Parc Nature du Cap Saint-Jacques dans l’ouest de l’île… et une quantité astronomique de nids-de-poule, un peu partout à la suite du dégel printanier.

   

Malgré ces suggestions, il a apparemment choisi de piéger ses petits gredins en vue de les déporter vers d’autres sites de villégiature. Pourvu que ça ne soit pas dans le Parc national de la Mauricie, l’un des plus beaux sites de camping du Québec.

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Il y a de cela quelques années, j’y avais amené ma petite famille. Une nuit, j’ai retrouvé ma femme et mes enfants étendus dans l’automobile, effrayés par les bruits nocturnes de la forêt. Au petit matin, ces froussards se sont rendu compte que l’énorme ours de la nuit avait plutôt la forme d’une joyeuse famille d’écureuils s’étant largement servi dans notre cargaison de nourriture.

La fragilité de l’écosystème

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En fait, la cohabitation de l’homme et des animaux forme un écosystème fragile, particulièrement quand il nous arrive de jouer à la nourrice. À Repentigny, par exemple, des dizaines de Jonathan Livingstone déversent leurs fientes sur les barbecues estivaux des citoyens, ajoutant des protéines indésirables aux poitrines de poulet, aux T-bones ou aux boulettes de bœuf haché. Au lac Memphrémagog, le légendaire monstre Memphré effraie moins que la dermatite du baigneur, causée par les milliers de millions de coliformes fécaux produits par les goélands.

Un épisode de Découverte du 8 mai dernier expliquait la guerre menée à la carpe asiatique, une espèce invasive du fleuve Mississippi, des Grands Lacs et d’une immense superficie du réseau de rivières du nord des États-Unis et du Canada. Cette menace est d’envergure comparable à celle des méduses des mers et des océans, toutes proportions gardées. La fermeture de la Chicago River a même été envisagée pour mieux lutter contre la colonisation de ce poisson très prolifique et aux effets dévastateurs sur l’ensemble de la faune aquatique : là où la carpe passe, il y a extinction de toute autre espèce de poissons. Pourtant, elle avait été naïvement importée pour assister l’homme dans des tâches de nettoyage en aquaculture.

 

En somme…

Vous vous demandez peut-être où je veux en venir? Notre méconnaissance du règne animal et de notre place dans l’environnement est la cause de nombreux désagréments. De manière beaucoup plus grave, il en résulte des menaces majeures pour la santé publique et pour la biodiversité. Nourrir des animaux sauvages entraîne une surpopulation dangereuse des espèces concernées; importer des carpes est en train de détruire la faune de nos cours d’eau. À ce compte, nous pouvons nous demander à quand l’importation de requins d’eau douce pour remplacer l’absence de Memphré dans nos lacs de baignade.

 

Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, 13 mai 2011

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