Le mois de l’histoire des Noirs : du macrocosme au microcosme

Publié le par Luc Renaud

Du 1 au 29 février se tient les activités du mois de l’histoire des Noirs au Canada. Des conférences et des activités muséales y seront organisées; un guide pédagogique met en valeur de grandes personnalités comme Jackie Robinson, le premier joueur de couleur dans le baseball professionnel, et le jazzman Oscar Peterson, plusieurs fois récipiendaires de prix Grammy. D’autres personnalités, démontrant l’importance des Noirs dans le développement du Canada moderne, seront aussi mises à l’honneur. Malgré ces progrès, l’événement nous rappelle l’existence de préjugés, même si l’abolition de l’esclavage a été décrétée au cours du 19e siècle.

De fait, le regard que nous porterons sur ces gens ouvre une véritable boîte de Pandore sur les travers de l’humanité, et nous rappelle que le comportement social n’est que le prolongement des attitudes individuelles, le lieu de rendez-vous du macrocosme et du microcosme.

1-      Quelques mots sur l’esclavage

C’est avec la télésérie Racines, puis rétrospectivement avec le roman éponyme que j’ai été sensibilisé à la question de la traite d’êtres humains, puis à l’esclavage des Noirs africains en Amérique. Dans ma tête d’enfant âgé de 11 ans, le problème impliquait surtout de méchants Américains du sud allant à l’encontre des ordres du bon Président Lincoln (qui ne voulait pourtant rien savoir d'une magistrature noire), de la sensibilité des habitants du Nord et des Canadiens toujours accueillants.

Quelle naïveté!

 


 

Aucun manuel d’histoire de mon adolescence ne faisait référence à Olivier LeJeune, arrivé d’Afrique au Canada à l’âge de 6 ans en 1628 pour être vendu comme esclave à la famille Couillard. Sera aussi ignoré le cas de Marie-Joséphe Angélique, torturée et pendue en 1734 après avoir été soupçonnée d’avoir mis le feu à la demeure de ses propriétaires à Montréal. Sous le Régime français, le Canada aurait compris plus d'un millier d’esclaves noirs et amérindiens, alors que des esclaves étaient vendus aux enchères à Montréal, Québec et Trois-Rivières sous les Régimes français et anglais.

Il aura fallu attendre 1834 pour que l’esclavage soit officiellement aboli au Canada, un an après le Jour de l’Émancipation né de l’abolition de l’esclavage par le Parlement britannique le 28 août 1833. Pendant toutes ces années, comment expliquer par ailleurs la complaisance du clergé canadien à l’endroit de l’esclavage, contrevenant par le fait même aux ordres du Pape Paul III qui, au nom de la primauté de la liberté, s’opposait avec véhémence à de telles pratiques dès 1537?

 

 

Si la lutte des Noirs pour la liberté et leur émancipation a gagné du terrain depuis cette époque lointaine, l’Afrique noire, à quelques exceptions près, compte toujours parmi les régions du monde les plus pauvres, et Haïti demeure un pays perpétuellement à reconstruire. Bref, l’ampleur du défi à relever est énorme. Mais veut-on réellement se retrousser les manches et se mettre à la tâche? Plusieurs en doutent. Les principaux intéressés sont souvent laissés à eux-mêmes, comme l'a démontré l'indifférence de la communauté internationale lors du génocide rwandais.

2 -      L’arbre qui cache la forêt

Malheureusement, la traite d’êtres humains et l’esclavage constituent des sujets encore d’actualité, sous des formes variées. En plus des cas classiques, pensons entre autres à la pornographie juvénile et aux réseaux de prostitution, et même à des sans papiers aux prises avec des maîtres cruels et assoiffés de pouvoir. La privation de liberté prend aussi la forme de kidnappings visant la demande de rançons ou encore dans le cadre de lucratifs trafics d’organes. Des téléséries abreuvent leurs téléspectateurs de tels spectacles, transformant des pratiques criminelles en divertissants spectacles.

Face à ces dures réalités, la plupart d’entre nous sommes saisis de frayeur, peut-être à l’instar de ceux de nos ancêtres qui s'opposaient à l’esclavagisme. En dépit de cela, des gains historiques démontrent que des hommes et des femmes ont su faire pression sur l’État et le mener aux décrets de 1833 et de 1834, ce qui constitue un signe d’espoir en faveur des luttes sociales. Dans ce contexte, nous croyons justifiés de faire preuve de solidarité envers le mouvement des Noirs, et même de nous en inspirer dans notre recherche de la liberté et de l’égalité. Encore faut-il connaître le sens de ces termes et les traduire en priorités personnelles.

3 -       Le changement social passe par le changement personnel

Tel un art, le comportement humain est une expression fidèle de volontés, de désirs, d’un état d’âme, d’une extase ou d’une folie, etc. De façon systémique, nous dirions que le changement social est la résultante de l'ensemble de changements personnels. Une grande partie de cette transformation découle directement de l’expérience provenant de notre contact avec les gens par le biais des médias ou dans des rapports humains directs.

 


Plus jeune, je n’avais pas conscience de la difficile histoire des Noirs, jusqu’à ce que Racines, télésérie et roman, ne provoque en moi un raz-de-marée émotif chargé de tristesse, de compassion et de révolte, en voyant le mal fait à de bonnes personnes, à des amis, à des frères. Le seul habitant d’origine haïtienne de mon village natal me faisait des signes d’encouragement en me voyant pratiquer mon jogging matinal, alors qu’à l’école secondaire, un autre Haïtien me trouvait bon au soccer. À l’Université d’Ottawa, la communauté africaine m’accueillait comme un des leurs, etc. Ces gens ont fait montre à mon égard d’un sens exemplaire de fraternité, qui a renversé mon rapport au monde. Ne m'appelle pas Étranger, chantait Alberto Cortés; car si tu regardes au-delà de ton égoïsme, tu verras alors que je suis un homme. Que je ne peux pas être un étranger. (Rf No Me llames Extranjero). 

 

 

 

4 -      Vers une culture du mieux-être

Ainsi y a-t-il un lien étroit entre le rapport social et l’univers intrapersonnel. D’une certaine manière la liberté individuelle n’a de sens que dans notre contribution à la vie sociale. Le psychiatre français Christophe André associe facilement, par exemple, les exercices de pleine conscience à la fois à une libération personnelle et à l’émergence d’une forme de gratitude et de compassion à l'égard d'autrui. Par ailleurs, le psychiatre et sociologue colombien Luis Carlos Restrepo parle de l'émergence d'une culture de la paix par la transformation intérieure de chaque personne pour contrer la culture de la violence, du préjugé et du racisme, ce qui rappelle le discours du crucifié il y a 2000 ans. C’est donc en chacun de nous et de notre relation au monde que se trouve la source des changements salutaires.     

Conclusion

L’histoire des Noirs rappelle à tous d’importants travers humains comme l’esclavagisme, une réalité encore bien présente, ici comme ailleurs. En contrepartie, nous y découvrons d’importantes luttes menées au nom de la liberté et de l’égalité, et de beaux modèles de réussite dans toutes les sphères sociales. La victoire n'est possible que par l’établissement de rapports humains solidaires, puisque la force sociale est le prolongement des volontés individuelles. Dans ce contexte, la recherche d'un mieux-être personnel, animé de sérénité, d’humilité, de gratitude et de compassion, devient le moteur de la recherche du bien commun et du partage des ressources sur la base de valeurs universelles. En définitive, parlons donc d'amour.

Pour lire la deuxième partie de notre dossier sur le mois de l'histoire des Noirs, cliquez sur ce lien.      

              

Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, le 12 février 2012

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