Les grands enjeux (deuxième partie) : Vaincre l’analphabétisme relationnel

Publié le par Luc Renaud

Dans l’article précédent, j’ai présenté une image chaotique des défis qui attendent l’humanité. La croissance de la population mondiale, les mésententes et la violence, les graves problèmes de l’environnement constituent des bâtons de dynamites susceptibles, paraphrasant Albert Eisntein cité dans The Day After, de nous plonger au cœur de l’âge de pierre. Peut-on espérer que la recherche spatiale, les développements scientifiques et les découvertes médicales remplissent leur mission salvatrice et nous protègent du pire? Pour cela, les êtres humains de tous les milieux et de toutes les classes sociales devront apprendre l’art du dialogue, une tâche quasi-impossible, compte tenu des écarts de référentiels culturels.

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1. Le dialogue : être entier et en interrelation

La vie moderne semble générer des maux à sa mesure comme le cancer, le syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) et, bien sûr, … l’anxiété. Le discours du roi, un film relatant l’apprentissage du discours du roi bègue Georges VI, père de la reine Elizabeth II d’Angleterre, est un beau témoignage de l’art de vaincre le stress, grâce à l’appui indéfectible d’une épouse faisant preuve d’un amour inconditionnel, qui me rappelle celui que me porte ma femme (Ma femme est une sainte! et Le mariage de Luc et d’Omaira). Ce film, touchant à plus d’un égard, illustre bien l’importance de l’amitié d’un simple orthophoniste au milieu de la royauté, de la qualité de dialogue de cette personne plus sensible à la grandeur humaine qu’à des techniques d’apprentissage, comme tel.

 

La notion de dialogue implique la présence entière de deux personnes en interrelation : culturelle, professionnelle, religieuse, générationnelle, etc. L’efficacité de l’interaction exige des interlocuteurs des habiletés d’écoute et d’expression. Ces deux qualités reposent sur une forme d’ouverture psychologique, une sorte de naïveté, à l’image de la malléabilité du cerveau des enfants.
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2. L’ouverture, l’écoute et l’expression

L’ouverture à l’autre s’exprime par de la curiosité, le sens de l’écoute, le questionnement, la capacité de reformuler correctement et la validation par l’autre de cette reformulation. Par exemple, dans les entrevues que mon accordées l’aquarelliste Huguette Bernais et le frère Jean-Jacques Campagna, je me suis donné la peine d’élaborer un questionnaire, d’enregistrer la rencontre, de procéder à la rédaction des articles et de les leur présenter avant leur publication dans le blogue. Si, de mon côté, j’ai pu poser les bonnes questions, mes invités ont su de leur côté formuler les bonnes réponses. L’art oratoire est certes une discipline, tout comme l’écriture, mais la qualité de l’argumentation découle aussi de l’observation et de la recherche de réponses à des questions.

L’entrevue permet de mieux connaître… la personne interrogée. Toutefois, l’intercompréhension n’est possible que si les deux interlocuteurs disposent de bonnes qualités d’écoute et d’expression. J’ai bien dit les deux personnes. Sans cela, nous assistons à un monologue ou au reportage d’un monologue. Entrent alors en scène l’imaginaire et la fausse impression de comprendre l’autre. À l’opposé, si deux personnes réussissent le tour de force de l’intersubjectivité, la relation devient fructueuse sur le plan de la croissance personnelle et de l’apprentissage d’habiletés sociales. En contexte social, ce rapport s’inscrit sous le signe de la multiculturalité, et le multilinguisme constitue un puissant instrument au service d’une meilleure compréhension entre les humains.

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3. De la relation interpersonnelle à la relation sociale

Qui dit relations humaines parle aussi de malentendus, de conflits et de sérieux désaccords sur les plans cognitif et émotif : des crises de valeurs peuvent engendrer des guerres. Si de la confrontation des idées, sous formes de thèse ou d’antithèse, émerge souvent la solution inattendue à un problème, ce mode de communication n’est-il pas comme tel un exutoire à la compétition, par moments bien exploitée par de vils profiteurs? De mon côté, j’y préfère la maïeutique socratique dans une perspective socioconstructiviste, une approche qui reconnaît l’existence de parcelles de vérité en chacun d’entre nous.

Sur le plan émotif, que penser du rôle l’empathie dans le rapport humain? La chaleur humaine est sans doute une qualité essentielle à la compréhension du vécu de l’autre. Toutefois, l’expérience me porte à croire qu’il s’agit souvent d’un beau prétexte employé par nombre de psychologues du dimanche, dépourvus des qualités d’écoute et d’expression, tel que présentées précédemment. Ces empathistes comprennent l’émotif sans tenir compte du cognitif… Ils ne comprennent qu’à moitié, pourrait-on dire.

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Ainsi, le simple geste de bien dialoguer requiert des exigences considérables. Dans ce contexte, la paix sociale, constituée de multi-dialogues, est un tour de force. Vous connaissez sans doute le proverbe familial : enfant petit, petits problèmes; enfant grand, grands problèmes… Appliquez-le à l’ampleur des réseaux humains : réseau petit… et voyez la complexité de la gestion de petits réseaux, sociaux et professionnels, de l’enchevêtrement harmonieux des visions entre citadins, villageois et campagnards, de l’expérience de la vallée et de la montagne, etc. Le dialogue des classes sociales et des générations constituent aussi un défi de taille.

D’un point de vue systémique, les guerres de clochers entre de simples municipalités séparées d’une rivière est symptomatique des difficultés des rapports Nord-Sud et du village planétaire. L’humanité dispose en chacun d’entre nous de tous les ingrédients à la concoction d’une sauce de confusion.

4. Le village planétaire

Les pays individualisés peuvent-ils comprendre cognitivement et émotivement les aspirations des personnes vivant dans les pays en développement? Au-delà des rapports commerciaux et diplomatiques, sur le plan relationnel, le village planétaire ne serait-il qu’une lubie?

Le dialogue Nord-Sud, visant la justice et l’égalité, fait face à de nombreux obstacles. L’analphabétisme, par exemple, ou l’incapacité de lire et d’écrire touche près de 20% de la population mondiale, selon les Nations Unies. À cela s’ajoutent les cas d’analphabétisme fonctionnel de gens ayant des connaissances minimales des codes écrits et des opérations d’arithmétique de base, mais insuffisantes pour réaliser des tâches courantes. Par ailleurs, les taux de pénétration du réseau Internet en Afrique est d’environ 3%, comparativement à près de 70% en Amérique du Nord. La littératie numérique, des compétences minimales de l’usage d’un ordinateur, devient un creuset entre le Nord et le Sud… Au Québec, 800 000 personnes âgées de 15 à 65 ans seraient concernées…

 

Conclusion

En cette fin de semaine de la Saint-Valentin, il serait tentant de conclure en disant que l’amour représente une force suprême, la seule en mesure de créer l’harmonie et la paix sociale au sein de l’humanité; ce qui est probablement vrai. Par ailleurs, les médias sociaux constituent de beaux instruments au service des petits, moyens et grands réseaux de communication. Toutefois, le dialogue requiert des savoirs-faires importants et non-négligeables sur le plan de la relation interpersonnelle. À l’heure actuelle, il conviendrait peut-être de mener une lutte à l’alnalphabétisme relationnel… Que la Saint-Valentin devienne une commémoration du dialogue… amoureux!

Bonne Saint-Valentin!

enjeu-000006 Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation 13 février 2011

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