L’héritage d’un grand homme qui s’était fait petit à l’image du Christ
Deux religieux sont décédés au cours des dernières années : Le frère Jean-Jacques Campagna, ancien directeur de collège et, tout récemment, un des oncles, simple portier d’une communauté religieuse. Pensant à ce dernier, on ne peut s’empêcher de penser à un autre célèbre portier, soit Saint Frère André. Les deux hommes portaient en eux les signes d’une foi inébranlable en Jésus Christ de qui ils ont vécu leur vie durant le message d’amour inconditionnel, le sens du service et même de soutien aux personnes malades. Mon oncle a-t-il accompli des miracles comparables à ceux de cet illustre confrère? Je ne saurais le dire; mais je puis vous assurer qu’il possédait un charisme incroyable caractérisé par une attitude de bienveillance et de grande bonté.
C’est d’ailleurs en pensant à des hommes de cette trempe, qui ont consacré jusqu’à soixante-cinq ans de leur vie au bien d’autrui, que le rejet et la moquerie à l’endroit de la religiosité m’apparaît dans toute son horreur et injustice à l’égard de tels messagers.
Un héritage de longue date
Dans un discours vibrant de l’un de mes cousins, on rappelle avec justesse l’esprit de fête qui régnait au sein de nos familles respectives chaque été quand mon oncle faisait la tournée de la parenté pendant sa période de vacances. Muni d’une simple valise, et de sa bible, il venait séjourner quelques jours chez chacun de ses frères et sœurs nous entourant tous d’une chaleur humaine inoubliable. Il est à l’origine de l’un de mes tout premiers billets, sinon du premier, qu’il m’est arrivé d’écrire plusieurs décennies avant l’existence d’un outil comme le blogue et dans lequel je me souviens avoir voulu témoigner de la magie qui couvrait sa visite. Et mon oncle, détectant le bien en chacun, se promenait dans le village par beau temps d’été pour y développer des amitiés avec des habitants du voisinage.
À une époque de ma vie où je me posais des questions de nature existentielle, c’est chez lui que j’allais me réfugier pour réfléchir ou tout simplement pour bénéficier d’une écoute attentive dans sa congrégation du Vieux-Québec. L’accompagnant parfois lorsqu’il rendait visite aux malades de l’Hôpital-Dieu, je lui enviais la facilité avec laquelle il savait faire du bien autour de lui, juste par sa présence et ses paroles encourageantes. C’est donc avec une certaine tristesse que, plusieurs années plus tard, j’ai appris jusqu’à quel point l’arthrose l’avait ralenti dans ses activités. Je me rappelle même avoir vécu un moment de choc, le voyant marcher le dos littéralement plié, une position qui tranchait de la rectitude du corps étendu récemment dans le cercueil.
Au décès de ma mère, sa petite sœur, cet homme d’ordinaire joyeux, affichait une profonde tristesse, d’autant plus grande que le climat exécrable de cette période du printemps 2008 l’avait retenu chez lui le jour des funérailles. En lui rendant visite le lendemain, nous avions alors convenu de nous apporter un soutien moral mutuel, ce qui nous avait permis de raffermir nos liens, toujours plus forts lors de mes visites subséquentes.
D’étranges retrouvailles
Bien sûr que le décès de cet homme de foi est chargé d’une émotion de tristesse; mais, en même temps, je me sens incapable de penser à lui en tant que personne décédée. Lors des funérailles, j’ai cherché à renouer avec des membres de la famille, mais aussi avec des valeurs qu’il m’arrive personnellement et égoïstement de mettre de côté.
Au cours de ses soixante-cinq ans de vie religieuse – et j’imagine que cela a commencé avant, mon oncle a incarné profondément chacune des qualités suivantes : simplicité, gentillesse bienveillante, accueil, écoute, sens du service. D’autres ajoutent à cela qu’il a toujours fait preuve d’un grand sens de l’humour et de beaucoup de vivacité d’esprit. Éduqué à sa manière, il aurait souhaité poursuivre des études universitaires poussées, et certains l’auraient même bien vu comme professeur d’université.
La qualité de son savoir-être et de sa compréhension des choses de la vie et du monde lui valent à mes yeux un doctorat honorifique, que je lui décerne par le biais de cet article de blogue.
En guise de conclusion
Je me sens tout profondément et sincèrement un salaud. Cette réplique d’un roman du philosophe Jean-Paul Sartre m’amène parfois à de nouvelles réflexions sur l’orientation de nos vies, souvent guidées par l’égoïsme, l’arrivisme, ou une ambition plutôt écrasante que conciliante dans un monde qui valorise l’individualisme au détriment du sens de la famille et de la solidarité humaine. Et il nous arrive même, par pure arrogance, de rire ou de mépriser le genre de vie que mènent de vrais messagers de l’amour et de la solidarité comme le frère Jean-Jacques Campagna ou mon oncle. Aujourd’hui, je veux bien entendu rendre hommage à ces hommes et aux femmes animés des mêmes motivations et d’une foi identique; mais je veux également présenter mon mea culpa pour l’ensemble de mes travers égoïstes (en espérant que d’autres fassent de même), et me rapprocher des modèles de vie que nous offrent de nombreux religieux afin de réussir peut-être à m’en inspirer un peu. Car sans amour, je ne suis rien.
Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, le 17 septembre 2012