Des perruches : de l’attachement et de la désillusion

Publié le par Luc Renaud

L’an dernier, nous traitions de l’impact de la mort d’une perruche sur les sentiments plutôt volatiles des enfants : les larmes d’un jour se transformaient en joie à l’idée de se procurer un perruchon de remplacement dès le lendemain. Récemment, mes amis de Facebook devaient suivre les péripéties de cette aventure. Au bureau, on me questionnait, doutant de la survie des oisillons élevés en captivité.

1-      De la guerre à la reproduction

Il était une fois deux perruches femelles et un mâle qui formaient un heureux ménage à trois jusqu’à ce que vienne la période de la reproduction. C’est alors le moment des gestes fous à se chercher un nid, à se donner des béquées  et à s’adonner à des ébats frénétiques avec le seul mâle de la communauté. Soudain, l’une des femelles se met à frapper  l’autre femelle à grands coups de becs, la laissant ensanglantée et nous forçant à l’achat d’un second mâle pour équilibrer les forces; puis, nous empruntons une cage à un voisin en annexant une couveuse à chacun des deux habitats, distançant dorénavant les deux couples.  

 La prison devient un espace sécurisant, paisible et confortable. Faisant cage à part, les oiseaux enceints pondent au même moment respectivement quatre et cinq petits œufs à raison d’un œuf tous les jours et demi.

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Piki-Piki : de la naissance à un mois

 

Mâles et femelles vivent alors des semaines entières quasi-reclus dans les antichambres jusqu’à ce qu’un jour de légers gazouillis à peine audibles attirent notre attention vers un oisillon  aveugle à la peau rose et totalement nue. Mais les lois de la nature nous prodiguent ses enseignements un peu plus de vingt-quatre heures plus tard, par la mort de ce premier oisillon pour des raisons inconnues. Il n’en fallait pas davantage pour que des oiseaux de malheur nous ramènent à l’impossibilité de la survie d’oiseaux en captivité. Mais l’espoir renaît dès le surlendemain avec l’éclosion d’un deuxième œuf. Le jour suivant, deux œufs de l’autre couveuse devaient éclore presque simultanément. Nous évitons, par la suite, la catastrophe de près au moment où un œuf semble coincé dans le ventre de la mère, qui n’en finissait plus de vomir.

2-      La vie de parents ovipares

Les deux pères prennent leur rôle au sérieux, remplissant leur jabot de graines qu’ils transmettent résolument à coup de béquées à la mère, qui empoignera sérieusement chacun de ses petits pour les gaver de cette purée naturelle. Deux nouvelles naissances s’ajouteront à l’une des couvées, alors que l’autre connaîtra les affres de la nature : un des poussins meurt dans l’œuf, les deux derniers sont inféconds. Nous hésitons à nous approcher des petits, de crainte d’être perçus comme des prédateurs par les parents, qui auraient alors préféré les éliminer plutôt que de les laisser tomber entre nos mains.

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El Pinguino : de la naissance à un mois

 

Quelques scènes familiales sont émouvantes. Nous voyons l’une des mères ouvrir toutes grandes ses ailes pour y couvrir sa couvée, donnant tout   son sens à l’expression rassurante Prendre sous son aile. Plus tard, elle s’assoira fièrement par-dessus son tas de rejetons de quatre oiseaux bien enchevêtrés les uns aux autres comme un jeu de blocs Lego. Deux semaines seulement, et déjà un début de plumage nous donne les signes distinctifs de chacun des oiseaux. L’une de mes filles nous révèle fièrement le fruit de son travail de recherche de l’école sur les perruches l’année précédente, et nous donne plein de détails sur leur physionomie, développement et entretien.

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Bébés de quelques semaines

 

3-      Une intervention interespèce salutaire

Les cris stridents et en chœur des cinq oisillons nous agressent, nous et les parents des oiseaux. Un  mâle s’énerve et pousse de violents cris, alors que la femelle prend un peu de répit après près de deux semaines d’un laborieux et constant travail d’élevage. Elle sortira de la couveuse, visiblement exténuée, après avoir endormi sa progéniture pendant quelques minutes. Le repos est de courte durée, en effet, et le couple finit par capituler en remplaçant la purée par des excréments, de façon à faire taire les petits au lieu de les nourrir. À la mort de trois oisillons dans une couveuse, une crise parentale éclate également dans l’autre couveuse, bien qu'il n'y ait qu'un seul oisillon dans celle-ci.

C’est alors que nous prenons la dure décision de séparer les deux survivants de leur mère respective et de les nourrir à la main en suivant les conseils de Ly, un technicien animalier d’une animalerie, spécialisé dans l’élevage des oiseaux exotiques. Enthousiaste, Le nous assure que cette pratique constitue une expérience interespèce extraordinaire. Pour ce faire, il faudra préparer nous-mêmes une purée aux oeufs, mais sans devoir l’ingurgiter d’abord comme le faisaient les parents biologiques des oiseaux.  

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À table!

 

Munis d’une seringue, il faudra gaver chaque oisillon à tour de rôle, en les tenant du bon côté et avec précaution pour leur éviter  une souffrante agonie et la mort par étouffement. Le tube respiratoire est logé d’un côté de la gorge, alors que le système digestif se trouve de l’autre. Encore presque nu, le perruchon nécessitera, de plus, un environnement maintenu à une température régulière de 28o C. Si nous crevons de chaleur au cours des premiers jours à la maison, nous achetons un aquarium et une lampe à infrarouge de 50 Watts dans une animalerie spécialisée dans l’élevage de reptiles quelques jours plus tard en vue d'abaisser le chauffage dans le reste de l'appart. Fait curieux, un python royal mord à la main la vendeuse de l’animalerie qui tentait de convaincre des acheteurs potentiels du côté inoffensif du serpent.

La fratrie adoptive fait bon ménage dans l’aquarium, alors que les nouveaux occupants cherchent chaleur et confort l’un blotti à l’autre, et que les parents reprennent leur camaraderie antérieure, oubliant bien vite leur statut parental. Nous avons tenté en vain de rapprocher les oisillons de leurs parents respectifs. Il semble bien que l’existence des oisillons soit passée à l’oubli à peine vingt-quatre heures après la séparation; les petits paraissent même considérés par les parents comme de potentiels rivaux sur leur territoire, puis comme des membres ordinaires de la petite communauté.

Pour nous, il s’ensuit une grande désillusion en matière d’esprit parental. D'un coup, le comportement des adultes nous paraît primitif, sans amour, et seulement guidé par l’instinct de reproduction. Bref, il nous est alors facile de voir en eux les vulgaires descendants des dinosaures puisque, sans notre intervention, la totalité des oisillons aurait succombé aux conséquences de l’épuisement des parents.   

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    4 cc de purée au maïs et aux oeufs trois fois par jour

 4-      La naissance d’une famille interespèce

Ma femme se découvre de nouveaux élans maternels et prend plaisir à donner les 12 cc de purée aux oeufs quotidiens à chacune des deux perruches. Et, Dieu merci, elles font leur nuit dès l'âge de deux semaines! Une de mes filles avait mis dix-huit mois. De mon côté, je les endors dans le creux de ma main à la fin du repas avant de les déposer délicatement dans le fond de l’aquarium. Au bout d’à peine un mois, le plumage est entier et les oiseaux nous font cadeau de leurs premiers vols. Au même moment, nous devons ajouter du calcium à l’alimentation des adultes femelles, affaiblies par la production des œufs.

 

 

 

Cliquez sur l'image pour visionner la vidéo: de la naissance à un mois. 

 

Cette nouvelle autonomie des petits ne les empêche pas de venir se poser régulièrement sur notre tête ou sur une épaule, particulièrement à l’heure du repas. L’attachement finit par avoir raison des résistances de ma femme, qui renonce dorénavant à se départir de son bébé préféré, el pinguino. Nous envisageons même l’opportunité de nous départir des quatre adultes; comme quoi les émotions peuvent se révéler volatiles.

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À six semaines, on est devenus beaux! Et bien vivants, prêts à nous poser sur vous.

Conclusion

Bientôt viendra la fin du sevrage et le temps de rendre Piki-Piki (la perruche arlequin jaune) à son nouveau propriétaire. El pinguino (la perruche ondulée bleue) aura droit à un traitement de faveur, mais jusqu’à quand? Le charme de la jeunesse prendra peut-être fin au moment des prochaines couvées. À moins que nous employions le subterfuge de Ly, le technicien animalier, comme mesure de contrôle des naissances. Il s’agit de faire cuire les œufs dès le moment de la ponte, avant le début du développement de l’embryon; puis de replacer les œufs cuits dans la couveuse: on ne stérilise pas un oiseau.

L’expérience a beau être des plus enrichissantes sur le plan de l’apprentissage de bases en biologie et en zoologie, l’entretien d’un animal domestique demeure une activité exigeante, et une question qui demande réflexion avant de procéder à l’achat de cadeaux vivants. Pensez-y bien pour Noël.

Texte : Luc Renaud, M.A. Sciences de l’éducation, le 18 décembre 2011

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