À la lecture des premiers chapitres de Cheminer ensemble dans la réalité complexe. La
recherche-action intégrale et systémique (RAIS), du professeur André Morin*, le lecteur est étonné par l’étendue des domaines d’activités actuellement impliqués par la recherche-action, ou
du moins de composantes de celle-ci. Au Canada, aux États-Unis, en Australie, au Brésil, etc., cette méthode de recherche intéresse en effet tous
ceux qui cherchent à améliorer substantiellement leurs services ou leurs produits autant dans le secteur de la santé, de l’éducation et du travail social, que dans ceux de l’immigration, de la
gestion, des arts, et même en techniques policières.
Le professeur André Morin et votre humble serviteur.
Dans la photo de droite, j'étais chargé de cours à l'Université de Montréal
Mais pourquoi une telle universalité et un tel consensus sur la valeur d’une méthode de recherche? Qu’est-ce qui la rend si sympathique aux
yeux de certains, et prise de haut par d’autres?
1- Une méthode de recherche au visage humain
De fait, Monsieur Morin attache beaucoup d’importance à la personne humaine non seulement dans le processus de recherche, mais dans la
finalité de celle-ci. Ne cherche-t-on pas à favoriser chez chacun l’émergence du bonheur, que ce soit par une meilleure connaissance de soi ou par le
biais d’une offre de service de meilleure qualité? Aux yeux du professeur, ce sont les systèmes humains en cause dans différents secteurs d’activités qui importent plus que le reste;
particulièrement l’amélioration de la qualité de vie de ceux qui sont peu respectés dans leur emploi, ou encore des personnes exclues des normes sociales, comme celles souffrant de maladie
mentale et d’autres de handicaps physiques.
D’une certaine manière, nous pourrions affirmer que la RAIS s’apparente à une mise en lumière des savoirs par la réflexion philosophique, et
contribue grandement à la modification du regard que l’on porte sur les personnes susmentionnées. Aujourd’hui même, par exemple, je voyais un reportage sur l’implication de chien guide et
d’utilité dressé par MIRA dans la qualité de vie d’une personne quadriplégique, aveugle et… peintre. Dans le métro, un aveugle faisait fièrement face
à un environnement de toute évidence conçu pour d’autres que lui. Dans un cas comme dans l’autre, une RAIS nous aiderait à mieux comprendre le vécu de ces personnes dans le but de mieux les
desservir, mais surtout de valoriser la résilience de ces personnes au lieu de prendre celles-ci en pitié.
2- Une méthode de recherche vivante et en groupe
Plusieurs cultivent une image erronée des chercheurs, les imaginant comme des personnes isolées, renfermées dans une tour d’ivoire et tenant
un discours accessible qu’à des initiés. Contrairement aux méthodes de recherche purement quantitative, la RAIS se veut participative et collaborative. Les épisodes de solitude du chercheur
correspondent particulièrement au moment de la rédaction de réflexions et de rapports scientifiques. Il s’agit d’instants de bonne solitude… presque méditative, comparable à une douce promenade à
la campagne, seul ou avec des amis.
Entre ces moments de rédaction, le chercheur devient partie prenante de l’action; et il est invité à réfléchir continuellement sur le sens de
sa pratique, en tenant compte de l’intégralité des phénomènes observés : leur déroulement, les performances obtenues; mais surtout, les biais personnels et les valeurs qui le poussent à
agir. Au lieu de prendre une mythique objectivité comme pierre de lance, la RAIS permettra au chercheur de prendre en compte la richesse de sa subjectivité. La méthode de recherche se révèlera
systémique lorsque le chercheur questionnera les implications d’un ensemble de milieux distincts sur l’objet de la recherche.
Le dernier livre d'André Morin, publié en 2010
Des personnes de plusieurs équipes distinctes peuvent collaborer au projet de recherche proprement dit, chacune alors appelée à réfléchir sur
le sens de sa pratique et à communiquer au groupe le fruit de ses réflexions. De l’ensemble des échanges subjectifs émerge alors une compréhension commune enrichie de l’intersubjectivité. Par
exemple, le grand public, des entreprises, des gestionnaires, des médecins, des infirmières, des parents et des enfants atteints du cancer peuvent être appelés à découvrir ensemble la meilleure
façon d’améliorer la qualité de vie des jeunes malades. L’expérience de recherche devient alors pluridisciplinaire.
Dans le cadre de certaines recherches citées par Monsieur Morin, la collaboration dans le processus de réflexion aurait généré beaucoup de
créativité.
3- L’intérêt de la RAIS pour l’intergénérationnel et l’interculturel
Les fossés des générations ou la ghettoïsation reflètent sans contredit de multiples solitudes, difficilement acceptables dans le monde actuel
aux prises avec de grands enjeux de société. Nous sommes d’avis qu’il serait plus avantageux d’œuvrer dans le sens d’un monde inclusif et non exclusif ou de la cohabitation pacifique de cliques,
un monde qui se construirait au contact des différentes réalités qui le composent. Dans ce contexte, des projets de RAIS contribueraient d’une part à la prise de conscience ou, du moins, à
l’expression et au partage de valeurs universelles, et d’autre part à l’échafaudage d’ententes entre les différentes parties, chacune enrichissant l’autre dans un esprit de collaboration.
Le modèle de communication éducative née de ma recherche guidée par le professeur André Morin
Les jeunes apprendraient à mieux comprendre le point de vue de leurs parents et vice versa. La discussion permettrait de régler des conflits,
de réduire le risque de nouveaux éclatements de violence, mais plongerait surtout les protagonistes dans l’élaboration de projets communs permettant à chacun d’y trouver son compte. Au lieu de
prôner une culture du soi purement égocentrique, la démarche ouvre la voie à une ouverture réelle sur l’autre. On comprendra que des RAIS portant sur les relations interculturelles joueraient
sensiblement le même rôle. Bref, la RAIS constitue un moteur pour l’intergénérationalité et de l’interculturalité, dispositifs essentiels dans nos
sociétés vieillissantes et orientées sur la migration et la mondialisation.
Conclusion
Les premiers chapitres de Cheminer ensemble dans une réalité complexe s’adressent principalement
aux chercheurs et à ceux qui veulent connaître la pertinence et la place occupée par la recherche-action dans le milieu de la recherche actuel à-travers le monde. Le néophyte risque de se sentir
un peu perdu par l’immense quantité des domaines concernés, et l’ouverture sur le monde exigée par la méthode. D’une certaine manière, le blogue de Luc
R correspond à une forme de RAIS, tel que mentionné antérieurement, compte tenu de l’étendue des champs d’intérêt couverts et, comme l’univers, en perpétuelle expansion. De plus, nous y
voyons des ponts entre eux, dans une perspective systémique.
Dans une civilisation individualiste et matérialiste qui met l’emphase quasi exclusivement sur le soi, il est rassurant de voir des
chercheurs, comme André Morin, guidés par une vision globale, le sens de la solidarité et le développement d’une société inclusive. Merci André d’avoir non seulement été mon professeur, mais
également d’être mon ami. En me faisant cadeau d’un exemplaire de Cheminer ensemble dans la réalité complexe. La recherche-action intégrale et systémique
(RAIS), j’éprouve la curieuse sensation de tenir dans les mains une clé ouvrant la porte de mon avenir. Comme si, de votre vivant, vous m’aviez fait le legs de l’œuvre de votre vie afin que
je puisse en assurer la continuité.
* Après une longue carrière universitaire, André Morin demeure actuellement professeur honoraire de
l’Université de Montréal. À la retraite, il a poursuivi ses activités d’écriture et présenté la RAIS dans plusieurs congrès internationaux, au Brésil notamment, et au Canada. Cheminer ensemble dans la réalité complexe est publié aux éditions L’Harmattan et disponible au Canada aux presses de l’Université Laval.
Texte : Luc Renaud M.A. Sciences de l’éducation, le 13 janvier 2012